Pour 2023, Citharista inscrit à son répertoire une série de neuf pièces baroques créées en Europe entre 1591 et 1735, dont le fil conducteur est l’amour – espéré, contrarié, brisé par la jalousie, retrouvé – et ses corollaires, le désir brûlant et la pâmoison.

Quant aux personnages, souvent inspirés par la mythologie, ils sont des dieux, parfois déguisés en bergers, de vrais pâtres, des rois, leurs filles, des nymphes, des Indiens d’Amérique, des femmes convoitées.

La danse domine souvent ces œuvres chorales où s’immiscent aussi des louanges au Dieu créateur et à la nature.

Gastoldi ouvre le bal, Lully fait danser le Roi Soleil

Giovanni Giacomo Gastoldi (1550 ou 1554 ?- 1609 ou 1622 ?), avant d’être maître de chapelle à Milan, le fut à Montoue, cité prospère de Lombardie donnant une grande place à l’expression de tous les arts. Vincent 1er, duc de Mantoue et prince de la maison de Gonzague, était un mécène aimant le luxe et les fêtes dispendieuses, il encourageait la peinture, l’architecture et la musique, en particulier de Monteverdi et de Gastoldi. Dans ce contexte favorable, Gastoldi ne se contente pas d’écrire de la musique sacrée mais se révèle précurseur dans la composition des ballets et des madrigaux.

C’est en 1591 à Venise qu’il publie un recueil de « balletti » dont fait partie L’Innamorato  : un madrigal à cinq voix qui est une courte chanson à danser sur un texte profane de vers galants. Les couplets et le refrain sont une invitation à la joie. A lieta vita, amor c’in vita : à une vie joyeuse l’amour nous invite.

Jean-Baptiste Lully (1632-1687) est né à Florence mais vient très jeune vivre à Paris où il apprend le violon auprès des musiciens de la duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle. Naturalisé français en 1661, il devient Surintendant de la musique royale avant de diriger l’Académie Royale de musique, qui n’est autre, aujourd’hui, que l’Opéra National de Paris. Il collabore avec Molière, dont il écrit notamment la musique du Bourgeois Gentilhomme, mais les deux hommes se fâcheront. Le Roi Soleil est un passionné de grand spectacle, de danse et de musique. Sous son règne, Lully écrira des ballets, des airs de Cour et de la musique pour la chapelle royale. Il est considéré comme le créateur de l’opéra français.

Alceste, ou le Triomphe d’Alcide est une tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, inspiré de la mythologie grecque, d’après une pièce d’Euripide. L’œuvre a été créée en 1674 dans le cadre des Divertissements de Versailles pour fêter la conquête de la Franche-Comté. Elle met en scène Alceste, épouse d’Admète, roi de Thessalie, et Alcide (alias le dieu Héraclès).

Pour épargner la mort à son mari, Alceste accepte de se sacrifier. Héraclès, amoureux d’Alceste, l’arrache des enfers pour la faire sienne, mais, devant les adieux déchirants des époux, il « triomphe » de ses désirs, et renonce à Alceste pour la rendre à Admète.

Le morceau Quel cœur sauvage intervient à la fin du prologue. La scène se déroule au Jardin des Tuileries, au bord de la Seine, lorsque les divinités des Fleuves, les Nymphes, les Naïades et les dieux des bois chantent et dansent leur joie à l’annonce du retour des Plaisirs, avec cette touchante recommandation : « Ne manquons pas d’en faire un doux usage ».

Sacré, profane : le baroque mélange les genres

Dietrich Buxtehude (vers 1637-1707) est un musicien, organiste, et compositeur germano-danois d’œuvres liturgiques et profanes. Ses Abendmusiken, ou veillées musicales, sont des concerts de cantates et d’oratorios joués pendant la période de l’Avent, mixant les voix et les instruments. Ils font la fierté de la ville de Lübeck qui en conservera la tradition tout au long du 19e siècle. L’histoire dit que Bach, à l’âge de 20 ans, fera 400 km à pied en 1705 pour suivre quelques mois l’enseignement de Buxtehude, l’un des musiciens les plus reconnus de son siècle.

Le morceau Alléluia, dont on ignore la date de création, conclut la cantate pour 4 voix, violons, viole et basse continue, Der Herr ist mit mir, d’après le Psaume 118-6. L’Alléluia se déroule sur un thème qu’une basse obstinée (ostinato) répète en boucle, sous la forme d’une danse à trois temps. Le texte signifie : Le Seigneur est avec moi, je ne crains rien, que peuvent me faire les hommes ?

Henry Purcell (1659-1695) est un musicien et compositeur anglais que la vie n’a pas ménagé dans sa jeunesse : il a 5 ans lorsqu’il perd son père, 6 ans lors de l’épidémie de peste et 7 ans lors du grand incendie de Londres. Mais l’Angleterre dans laquelle il grandit vient, avec Charles II, de balayer le puritanisme et fait une large place aux arts. La palette des émotions que Purcell transcrit en musique reflète ces épreuves mais aussi cette liberté retrouvée. Elle transparaît dans la variété des genres musicaux auxquels il s’est consacré. Organiste de la Chapelle Royale et de l’Abbaye de Westminster, il a écrit pour l’Église, le théâtre, et la Cour.

Parmi ses oeuvres les plus connues : l’opéra Didon et Enée, des semi-opéras – chantés et parlés – comme King Arthur et The Fairy Queen (d’après le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare), ou la Musique pour les Funérailles de la Reine Mary – qui est au générique du film Orange Mécanique.

Purcell écrira aussi bien des œuvres religieuses, notamment des anthems qui mettent des textes bibliques en musique, que des chansons profanes, parfois galantes, voire paillardes.

Mort à 37 ans, l’orpheus britannicus repose au pied de l’orgue de l’Abbaye de Westminster.

If music be the food of love : Purcell fait à la fin de sa vie trois arrangements du texte écrit par Hevingham, qui emprunte à Shakespeare le premier vers de sa comédie La Nuit des Rois, Twelfth Night. Doit-on comprendre que le personnage, au cœur malheureux, aspire à absorber tellement de cette musique qui nourrirait l’amour, qu’il en perdrait le goût ? En proie à de grands tourments charnels, il semble prêt à périr des charmes de la femme aimée tout en espérant qu’elle le sauvera dans ses bras.

Bien plus tard, ce même vers de Shakespeare traversera les siècles car il sera repris au 4e couplet de   « A whiter shade of pale » du groupe britannique Procol Harum.

Haendel : du rire aux larmes, ou l’inverse

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), né en Allemagne, devient anglais en 1727 et anglicise son nom en Handel. Virtuose du clavecin et organiste, il a composé 42 opéras, 25 oratorios, de la musique religieuse pour la Cour d’Angleterre, de nombreuses œuvres pour orchestre, de la musique de chambre, et des compositions pour clavecin et piano. Considéré comme l’un des plus grands compositeurs de musique baroque, déjà de son vivant, il a créé des œuvres incontournables de ce genre musical, comme Water Music, une série de trois suites orchestrales, sa célèbre Sarabande (1733) – qui deviendra le thème du film Barry Lindon – ou Le Messie, chef-d’œuvre du genre oratorio (1741).

Lascia ch’io pianga, extrait de l’opéra Rinaldo, créé en 1711.

Il s’agit d’une adaptation de La Jérusalem délivrée, poème épique de Le Tasse, qui évoque la première croisade et les combats entre les chevaliers chrétiens menés par Godefroy de Bouillon et les Sarrasins, de confession musulmane. Rinaldo obtiendra de Goffredo, le chef du camp chrétien, la main de sa fille Almerina, s’il lance l’assaut contre Jérusalem. C’est compter sans les ruses d’Argante, roi de Jérusalem, et d’Armida, sa femme sorcière. Chants de sirènes, trahisons, usurpations d’identité, emprisonnements : de nombreux rebondissements font avancer l’intrigue, qui se terminera par la victoire des croisés et la conversion d’Argante et d’Armida à la religion chrétienne. Et chacun retrouvera sa chacune

L’aria « Lascia ch’io pianga » de l’acte II nous montre Almirena assise tristement dans le jardin d’un palais : Laisse-moi pleurer sur mon sort cruel et soupirer à la liberté.

Happy We, extrait de Acis and Galatea, créé en 1731.

L’œuvre est un semi-opéra (un « masque »), un genre lyrique baroque typiquement anglais, hybride entre le théâtre et l’opéra, qui alterne des parties parlées et chantées. Il apparaîtra en Angleterre sous le règne d’Élisabeth Ire. La légende d’Acis et Galatée est inspirée des Métamorphoses d’Ovide. Galatée, une nymphe demi-divine, aime le berger Acis d’une passion partagée. Leur idylle est interrompue par le cyclope Polyphème, également amoureux de Galatée. Polyphème écrase Acis sous un rocher. Galatée, brisée par la douleur, obtient des dieux que le sang d’Acis soit métamorphosé en un ruisseau dans lequel elle pourra tous les jours aller se baigner. Mais à l’acte I, l’heure est encore à la joie, et la nymphe et le berger forment simplement le souhait d’être heureux, en chantant « Happy We ».

Vivaldi et Benedetto, de l’orage dans l’air de Venise

Antonio Vivaldi (1678-1741), violoniste, compositeur, prêtre de l’Église catholique – surnommé « Le Prêtre roux », mais un prêtre fantasque qui sera très vite exempté de dire la messe – est un musicien baroque majeur. Il est l’initiateur des concertos de soliste. Les plus connus : le Concerto pour mandoline et cordes, Estro Armonico (12 concertos pour violons), et Les quatre saisons, qui feront un triomphe en Europe. Il fut un temps maître de violon au Pio Ospedale della Pieta, hospice, orphelinat et conservatoire de musique pour jeunes filles, leur enseignant le genre des concertos, et leur faisant jouer ses propres œuvres. Il composera 23 opéras, dont Ottone in Vila, Dorilla in Tempe, Orlando Furioso, l’Olimpiade, et des œuvres religieuses telles que le Stabat Mater ou le Gloria. Sa renommée sera malheureusement posthume. Il mourra à Vienne, pauvre et peu reconnu.

Dorilla in Tempe est représenté en 1726 au théâtre San Angelo.

Anna Giró, la protégée de Vivaldi et la prima donna de ses opéras, jouera un rôle ambigu dans la vie du musicien. Elle chantera dans nombre de ses opéras. Dans Dorilla in Tempe, elle interprétera le rôle de Eudamia. Selon des témoins avisés, elle avait davantage de présence sur scène qu’une jolie voix. L’action se déroule à Tempe en Thessalie (en Grèce septentrionale). Apollon, sous les traits du berger Nomio, aime Dorilla, qui aime le berger Elmiro, que la nymphe Eudamia (aimée d’un autre berger Filindo) aime également. Quelques intrigues plus tard (Python en colère, sacrifice de Dorilla évité de justesse, imminence du mariage de Nomio avec Dorilla, enlèvement de cette dernière par Elmiro), Nomio révèle qu’il est Apollon et s’incline devant l’amour de Dorilla et d’Elmiro.

Au lever de rideau, un chœur de bergers a chanté les louanges du printemps, sur le thème des Quatre Saisons. C’est le morceau « Dell’aura al sussurrar, del onda al mormorar ».

Benedetto Giacomo Marcello (1686-1739), écrivain, poète, enseignant, magistrat et compositeur italien de la période baroque. Il est surtout connu pour son Estro poetico-armonico qui est une mise en musique pour une à quatre voix et basse continue (orgue et violoncelle) des 50 premiers Psaumes de David, de l’Ancien Testament. Sur des textes italiens, il utilise des chants sacrés des communautés hébraïques réfugiées dans le ghetto vénitien. Ce recueil lui vaut à Venise le titre de Prince de la musique. Il fut aussi l’un des premiers à écrire pour le violoncelle et a laissé une série de sonates pour violoncelle, des sonates pour clavecin, des menuets, des cantates et par exception, un opéra. Il a longtemps vécu à Brescia en Lombardie où il décède. Le conservatoire de musique de Venise porte son nom.

I cieli immensi, L’immense firmament, est la partie la plus connue d’une œuvre pour chœur et basse continue qui reprend le début du psaume XVIII, psaume de louange du Dieu créateur.

Il theatro alla moda

 En 1720, sous le nom de Il theatro alla moda, paraît un pamphlet satirique anonyme contre « Aldiviva », alias Vivaldi, et l’équipe du théâtre San Angelo, dont il est l’impresario de fait. Il y dénonce avec drôlerie l’artificialité des intrigues, le style stéréotypé de la musique, la vénalité des compositeurs et poètes, la vulgarité des chanteurs… On apprendra par la suite que l’auteur en est Benedetto G. Marcello, qui avait des droits sur le théâtre et voulait les faire valoir. En couverture, Vivaldi y est représenté en ange violoniste portant une coiffe ecclésiastique, navigant sur une barque destinée au transport des marchandises. En 1730, Marcello récupérera ses droits sur le théâtre San Angelo et nommera un autre administrateur.       

Les Indes Galantes, chef-d’œuvre de l’opéra-ballet

CJean-Philippe Rameau (1683-1764) est un compositeur, organiste et théoricien de la musique, dont le Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels, en 1722, développe une vision mathématique de l’harmonie et le rend célèbre. Plusieurs « querelles » parsèment son parcours. La première, entre le classicisme de Lully qui attache une grande importance à la compréhension des textes, et le modernisme innovant de Rameau où la musique l’emporte sur le livret. Plus tard, l’affrontement intellectuel entre le traditionalisme baroque de Rameau face à la légèreté de l’opéra italien et au romantisme défendus par le philosophe Jean-Jacques Rousseau. C’est l’opéra-comique de Pergolèse, La Serva Padrona, joué à l’Opéra de Paris en 1752, dans la tradition des farces de la Commedia dell’arte, qui déclenche la Querelle des Bouffons, du nom de la troupe. Louis XV tranchera en faveur de Rameau en le nommant compositeur honoraire de la Cour. Ces « querelles » témoignent simplement de l’envie universelle de se démarquer du passé, si brillant fut-il, pour laisser sa propre signature dans l’histoire de la musique. Rameau sera considéré comme le musicien emblématique du passage de l’ère baroque au classicisme français. Ses œuvres les plus connues : Hippolyte et Aricie, Les Indes galantes, Castor et Pollux, Pygmalion.

L’opéra-ballet Les Indes Galantes en un prologue et quatre entrées, créé en 1735 sur un livret de Fuzelier, est l’œuvre lyrique de Rameau la plus donnée. Ce sont des Indes au sens de Rameau, situées en Turquie, en Perse, au Pérou et en Amérique du Nord, qui sont évoquées dans autant d’actes et d’intrigues autonomes. Sur scène, des costumes et des décors exotiques et somptueux, où la chorégraphie tient un rôle majeur sans nuire à la beauté de la musique.

La quatrième « entrée » se déroule au 18e siècle dans une forêt d’Amérique du Nord. Les chefs des colons français et espagnols viennent de gagner la bataille contre les Indiens et se disputent les faveurs d’une jeune Indienne, Zima, qui, à l’inconstance amoureuse du Français et la fidélité jurée de l’Espagnol, préfère les bras d’Adario, le chef des guerriers indiens.

La scène de Forêts paisibles, introduite par un rondeau, célèbre l’union de Zima et Adario pendant la cérémonie du Grand Calumet de la paix.

La musique baroque, que de nouveaux styles musicaux avaient chassée des esprits à la mort de Bach, doit un premier regain d’intérêt à Mozart, admirateur du compositeur. Elle a pleinement regagné ses lettres de noblesse aujourd’hui. Et serait-ce tricher que de modifier avec un peu d’espièglerie et d’anachronisme ces belles pensées exprimées par des philosophes, des dramaturges, des poètes, des écrivains ?

 

La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée (Platon)

La musique est l’aliment de l’amour (William Shakespeare)

La musique, le plus sensuel des arts pour les âmes amoureuses (Honoré de Balzac)

La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux (Victor Hugo)

La musique met l’âme en harmonie avec tout ce qui existe (Oscar Wilde)

 

Au mot musique, il suffirait de rajouter le mot baroque

Dominique Gleizal Norgeot