Les rites funéraires, en raison du besoin de l’homme d’honorer ses morts, remonteraient à 100 000 ans. Ils sont devenus de plus en plus codifiés au fil des millénaires, en réponse aux jalons inévitables du chemin du deuil : la révolte, la douleur, la résignation, la consolation, l’espérance. Autant de sentiments que la musique traduit avec une palette infinie de nuances et de richesses.
Les Messes pour les défunts
Au Moyen-Âge, les chants liturgiques de l’Église catholique suivent le rite grégorien, tout d’abord a cappella et à une seule voix, ensuite à plusieurs voix à l’unisson. À la Renaissance, la partie vocale gagne ses lettres de noblesse et devient très sophistiquée tandis que l’orchestration apparaît à l’époque baroque. Le thème religieux de la mort est porteur : on dénombrerait 1 600 messes funèbres. Le premier requiem polyphonique connu est celui du compositeur franco flamand J.Ockeghem, écrit pour la mort de Charles VII en 1461 ou de Louis XI, en 1483.
Le terme « requiem » vient du latin « requies » qui signifie « repos ». Il est le premier mot de la messe pour les défunts dont il deviendra le nom générique : « Requiem aeternam dona eis Domine ». Mot à mot : le repos éternel, donne-leur Seigneur.
1791 : à 35 ans, Mozart reçoit la commande d’un requiem.
Mozart n’a pas une bonne santé. Est-il en outre dépressif ? Le ton des lettres qu’il écrit à son épouse Constanze, alors en cure thermale, ne permet pas de l’affirmer : il se soucie avec affection de la santé de son épouse, enceinte, mais ne fait pas allusion à la sienne. En revanche, il est certain qu’il vit largement « au-dessus de ses moyens ». Et sans doute a-t-il des dettes d’honneur, autrement dit de jeu. Il n’existe pas plus d’argent magique à l’époque que de nos jours, alors il emprunte à droite à gauche et croule sous le poids de la dette. L’empereur Joseph II dont il était l’un des protégés vient de disparaître et la cote du musicien subit des fluctuations. En 1791, il a néanmoins de nombreuses commandes à honorer et travaille énormément. De la dernière année de sa vie, datent plusieurs œuvres majeures : deux opéras, « La flûte enchantée » et « La clémence de Titus », le « Concerto pour clarinette » qui se mêlera si bien aux paysages de savane du film « Out of Africa », la « Petite cantate maçonnique » qui rappelle que Mozart était franc-maçon, et le « Ave verum corpus », motet écrit pour la Fête-Dieu, qui confirme au musicien son bonheur d’écrire de la musique sacrée.
Alors, quand il reçoit la commande anonyme d’un requiem, (on apprendra plus tard qu’elle émane du comte Walsegg, dont la jeune épouse vient de mourir), accompagnée d’un à-valoir substantiel et de la promesse d’une belle rémunération une fois la messe finie, il se met à la tâche en dépit de son immense charge de travail et de son épuisement. Si Mozart vivait de nos jours, on n’hésiterait pas à parler d’un état de « burn-out ».
Un requiem inachevé
Mozart est tombé malade, il compose du fond de son lit. À ses côtés, sa femme Constanze, chanteuse lyrique, et son élève Süssmayr, chantent et interprètent la partition au fur et à mesure de son écriture. Ils notent les desiderata du Maître jusqu’aux derniers instants.
Il est poignant de s’attarder sur les huit dernières mesures couchées par Mozart sur les portées. Le « Lacrimosa » évoque un homme qui, un jour de larmes, surgit des cendres pour être jugé. « Lacrimosa dies illa, qua resurget ex favilla judicandus homo reus. » La légende urbaine dit qu’à ce stade de son travail, Mozart éclate en sanglots : pressentant l’imminence de sa mort, il devine qu’il est en train d’écrire les dernières lignes de son propre requiem et qu’il n’aura pas le temps de l’achever.
Mozart s’éteint à Vienne le 5 décembre 1791. Après un service funèbre dans une chapelle de la cathédrale Saint-Étienne, son corps est emmené dans les faubourgs de Vienne et enterré dans une tombe communautaire, à l’instar des membres de la classe moyenne et selon les coutumes de l’époque : de nuit et sans cortège, pour limiter les risques d’épidémie. Des amis de Mozart (en particulier Schikaneder, le librettiste de La Flûte enchantée) organisent quelques jours plus tard une messe de requiem à l’Église Saint Michel, église paroissiale de la famille impériale. La partie du Requiem que Mozart avait quasiment achevée a sans doute résonné pour la première fois sous les pierres de ses voûtes.
À défaut d’une tombe identifiable au cimetière de Sankt Marx, un cénotaphe y honorera plus tard la mémoire du musicien.
Rendons aux élèves de Mozart…
Après le décès de son époux, sa jeune veuve confie à plusieurs des élèves du musicien, J. Eybler, le plus apprécié de Mozart, F.X. Süssmayr et M. Stadler, la responsabilité de finir l’écriture du requiem qu’elle doit livrer à son commanditaire, comme si l’œuvre était totalement de la main de Mozart. Les techniques d’investigation de l’époque, notamment l’expertise graphologique, ne sont guère avancées. Le comte Walsegg ignore que c’est l’élève Süssmayer qui a écrit la partition remise à son émissaire et qui a imité la signature de Mozart jusque sur la « partition à livrer ». La rémunération promise sera versée et le comte pourra diriger la version complète de l’œuvre dès le mois de décembre 1793.
C’est ainsi que les élèves de Mozart, s’inspirant de ses instructions orales, de ses notes de travail, d’œuvres antérieures et de ses enseignements, terminent l’orchestration des parties manquantes, complètent l’Offertorium, écrivent le Sanctus, le Benedictus, l’Agnus Dei, le Communio, et achèvent, en respectant au mieux l’esprit du Maïtre, le Requiem entamé par Mozart sur son lit de mort.
La puissance du chœur
Si Mozart, qui a voyagé dès sa jeunesse dans de nombreux pays européens, s’est imprégné de toutes les influences rencontrées, des œuvres précises ont directement inspiré son Requiem : celui de Michel Haydn, créé en 1771 – Mozart, âgé de 15 ans, faisait partie des musiciens – et le Messie de Haendel que Mozart avait réorchestré.
Écrit pour quatre solistes, orchestre et chœur à quatre voix, le Requiem de Mozart magnifie le rôle du chœur qui a une grande liberté pour traduire l’immense diversité des émotions inhérentes à cette messe de requiem. Les quatre pupitres y expriment tour à tour la fragilité humaine devant la mort, la force et la colère divines du Jugement dernier, l’humilité des supplications, l’espérance en la résurrection et l’apaisement qu’offre la foi en la lumière éternelle, la « Lux aeterna ». Mozart a délibérément banni de l’orchestre les bois aigus qui auraient nui à la gravité et à la solennité de sa messe pour les défunts. Pour les mêmes raisons, il a principalement utilisé le ré mineur et des tonalités voisines qui assombrissent à souhait l’atmosphère de sa composition funèbre.
Amadeus, trop aimé des dieux ?
Mozart a reçu à sa naissance les prénoms suivants reportés sur l’acte de son baptême : Joannes, Chrysostomus, Wolfgangus, Theophilus. Tiré du grec, ce dernier prénom signifie « qui aime Dieu » ou « aimé de Dieu », « Amadeus » en latin. Pour être arraché si tôt à la vie d’ici-bas, au sommet de sa puissance créatrice, le musicien fut certainement trop aimé des dieux qui le voulaient à leurs côtés.
Mozart acceptait la fatalité de sa disparition. Le « Rough Guide to Classical Music » lui prête cette pensée : « Je ne me couche jamais sans me faire cette réflexion qu’en dépit de ma jeunesse, je ne vivrai peut-être pas assez pour voir le jour suivant. »
À sa mort en décembre 1791, Mozart avait écrit plus de 620 œuvres, selon la nomenclature chronologique établie par L.v. Köchel en 1862. Le Requiem porte le numéro K. 626. Laissons conclure Émile Vuillermoz, critique musical du siècle dernier, qui résumait ainsi le génie instinctif du musicien : « Mozart composait comme l’oiseau chante ».
Sources :
Olivier Bellamy (Radio classique), Alice Boccara (Radio France), Aliette de Laleu (Radio France), Antoine Vitek (Culturez-vous), Geneviève Geffrey (Diapason), blog du Théâtre des Champs-Élysées, Monique Baechler (Médecine et hygiène), plus généralement Wikipedia.