Les femmes se pavanent devant des messieurs attendris par leurs chers minois. Ils n’en tyrannisent pas moins les reines de leur cœur qui le leur rendent bien. Dans ce jeu de séduction, tout n’est qu’équilibre subtil et délicat à prendre au second degré. Adieu donc signifie Revenez. Gabriel Fauré, qui met si bien en musique la complexité de la nature humaine, nous l’intime depuis 1888 dans La Pavane : Observez la mesure ! Il n’hésite pas à rajouter cette mise en garde comminatoire : Faites attention ! en une noire, deux doubles croches et une blanche accentuées, preuve que son message est pressant. Prenons-le au pied de la lettre : il aurait pu servir de fil conducteur à notre atelier de chant choral.
Un long week-end de retrouvailles
Un mot du décor de notre long week-end de travail, trouvailles et retrouvailles : un joli domaine planté d’arbres centenaires. Sous le soleil, pins et eucalyptus bruissent de chants discrets, pour nous complaire. Au bas du parc, la mer turquoise d’une calanque. Dans les cuisines, des stocks de riz et de lasagnes, des filets de mandarines et des Flanby tremblotants qui nous rajeunissent de quelques décennies. Foin de la gastronomie ! Glissées dans nos sacs, trois partitions en vue de quatre concerts. Pour celui de la Sainte Cécile, en novembre 2024, un medley qui s’éparpille sur trois siècles de musique, de Georg Haendel à Karl Jenkins, d’Andrew Lloyd Weber, Rolf Løvland, Vangelis, Ennio Morricone à Leonard Cohen. Pour nos trois concerts du printemps 2025, le Gloria de Vivaldi et le Stabat Mater de Pergolèse.
Au total, sauf erreur d’addition et sans les reprises, nous devrons attentivement observer puis chanter 2798 mesures, et faire at-ten-ti-on à ne pas se faire rabattre le caquet (démarrer le crescendo) par la pianiste et le couvercle de son piano, les voisins de pupitre et la cheffe de chœur aux yeux chargés de mitraille. Le premier cas de figure est si rare qu’il serait à marquer d’une pierre blanche. Il n’est mentionné que pour mémoire. Le deuxième est plus fréquent, à chacun de se défendre. Mais pour ce qui est des fusillades du regard, les galets de la plage de Magaud et du parc national de Port-Cros ne suffiraient pas à les dénombrer. Que le choriste qui ne s’est jamais senti dans la ligne de mire se fasse connaître : espèce en voie d’extinction, il n’a jamais dû regarder le chef de chœur droit dans les yeux. Dommage, il ne décèlera pas la lueur espiègle qui, sauf exception, remplace très vite le regard noir.
Sorts cruels et raisons d’espérer
Des craintes et des larmes adoucies par l’espérance et la foi imprègnent ce programme éclectique. La douleur de la Vierge Marie qui se tient au pied de la croix où son fils a été supplicié, les pleurs empreints de dignité d’Almirena sous les notes d’Haendel, celles que Weber prête à l’Argentine à la mort de son icône Evita. La glorification de Dieu au travers de la musique virtuose et légère de Vivaldi. Les frissons d’effroi que les fantômes de l’opéra instillent dans les rêves. L’espoir de la résurrection et la promesse du paradis. La célébration de la vie par Léonard Cohen, dont la petite histoire dit que son poème contenait autant d’Hallellujah que de vies à exalter. Sans oublier une bonne dose d’aventures. Celle de Christophe Colomb, héros de 1492, magnifiée par la musique de Vangelis et, au Far West, celle des chercheurs d’or des films de Sergio Leone, sur les airs fantastiques d’Ennio Morricone qui a pimenté d’une saveur inoubliable les westerns spaghetti du maître. Deux remarques hors sujet. Le chef de cuisine a eu du flair, il a su coller au programme. Et rares sont les choristes à savoir siffler pour dire au-revoir à Cheyenne. Merci donc aux flûtes.
Anatomie d’une répétition
2798 mesures !
Puis, place à l’échauffement vocal. On va d’emblée constater qu’il ne suffira pas de chanter juste. Ce serait bien trop facile : les compétences requises pour chanter dans une chorale vont bien au-delà. Quelques exemples au hasard. Renoncer à des plaisirs immédiats, comme trahir la partition en prolongeant les notes qui nous plaisent (productrices d’endorphines ?). Se laisser aller au pouvoir évocateur d’images choisies et les transposer au chant. Autrement dit, si l’on vous suggère de gambader dans une prairie de coquelicots, il y a probablement du Vivaldi sous roche. Amusez-vous, sautillez ! Et, plus rébarbatif, connaître un peu d’anatomie.
Le chant de la meute
Tout commence par un éveil corporel. Du classique et de l’insolite. Travail en douceur des cervicales. Ne pas aller jusqu’à la douleur. Et si craquements il y a, les imputer aux bulles de la veille au soir. Respiration abdominale : inspiration en gonflant le ventre, expiration en partant du plancher pelvien, synonyme périnée, jusqu’au diaphragme, tout en suivant le fil invisible d’un marionnettiste qui suivrait votre colonne vertébrale et tirerait vos ficelles vers le haut. Ils sont où vos abdos ? Soutenir, soutenir…comme si on avait une patate chaude dans la bouche. Nous sommes une colonne d’air qui se vide du bas vers le haut. Les sophrologues affirment que l’air expiré emporte avec lui les idées désagréables. D’où l’intérêt de ne pas bâcler l’expiration, les pensées négatives auront toute latitude pour prendre la tangente.
Eveil corporel, suite : nous nous massons le visage, laissons tomber la mâchoire, tapotons nos jambes, relâchons nos bras, tortillons poignets et popotin. Nous nous étirons au soleil. S’il restait quelques pensées nuisibles, pfuitt … elles s’évaporent. Et si par hasard une dernière idée sombre s’attardait, elle ne perdrait rien pour attendre.
Eveil corporel, fin : regroupés en cercles d’une dizaine de choristes, calés garrot contre garrot, nous poussons des ouh à notre guise, en cherchant à comprendre ce qu’il advient de nos plaintes. Avec application, nous cherchons nos ouh au milieu des cailloux et des brins d’herbe. Et, belle découverte, nos ouh-garous s’harmonisent dans le chant de la meute.
Trucs et astuces
Place aux vocalises. Le « grand Rossini » est libérateur, joyeux, il part de loin dans les graves, monte bien dans les aigus. Conditions sine qua non pour bien chauffer sa voix et remettre ses cordes vocales dans le bons sens (travail d’imagination) : avoir les genoux souples, les pieds bien tanqués dans le sol -comprendre bien ancrés- les épaules basses, les côtes ouvertes, la tête droite, tout caler en-dessous des orbites (travail d’imagination, bis), respirer quand le chef le permet.
Fichtre ! Il s’agira plus tard, partitions en mains, d’exécuter sur dix mesures un legato auquel semble tenir mordicus le compositeur : pas de virgule, pas de respiration. Ou de ne pas lier par mégarde des notes que le musicien a voulues piquées. Misère ! Vangelis, de sa place de choix au panthéon des musiciens, nous prie de chanter staccato les mi se re re de son Light & Shadow. Par chance, en présence de tenues de notes très longues, comme dans le Gloria de Vivaldi, les choristes peuvent se voir autorisés à respirer où ça leur chante. De l’air, de l’air ! À condition de ne pas reprendre leur souffle au même endroit au risque d’un blanc. Se coordonner avant. « Tu respires où, toi ? — Quand j’en peux plus. » Le hic, c’est qu’on frise souvent l’asphyxie à la même mesure.
Ne pas craindre contradictions et incongruités, et les méditer avant mise en pratique. C’est pas parce qu’on est dans les graves qu’il faut lâcher dans les aigus. Et sans doute, vice-versa. Ne pas oublier non plus qu’il faut remonter en descendant. Pardi ! Traduction, même quand les notes descendent, penser à les soulever comme si elles montaient…sinon, on se retrouve aux oubliettes. Oui, les notes, ça se soulève. Et le bassin se bascule pour attraper le mi bécarre. Plus délicat, le nombril se hisse jusqu’au sternum. Tiens donc ! D’ailleurs, c’était qui, mais c’était qui * qui disait : La partition est une chose, le chant en est une autre. Ce qu’il faut, c’est avoir la musique en tête et la chanter avec le corps. Alors, mais c’était qui ? Eh bien Luciano Pavarotti.
La bouche en cœur et la langue bien pendue
Toute répétition digne de ce nom débute par un bavardage tous azimuts. Tant mieux, voici un incontestable prétexte pour s’échauffer la voix et, en prime, se remettre à jour en potinant un peu. Ah, vous vous êtes baignés ? Il n’y a pas de lampe de chevet. La soirée « scène ouverte » était très sympa. Tu as trouvé de la place pour te garer ? La tenue, c’est tout noir, ou pantalon noir et chemise blanche ? On ne met pas de fleur rouge, alors ? Tiens un nouveau ! Mais c’est qui ? C’est qui ? * Ou autres propos de même acabit mais in-dis-pen-sables.
Mais pour avoir la langue vraiment bien pendue, il faut dévoiler certains détails intimes. Passons sur le fait qu’un cheveu sur la langue empêche de bien articuler. Zozoteurs, ne tentez pas Gratias agimus tibi. Une langue normale (sans cheveu donc) doit venir taquiner les incisives en douceur et ne pas se positionner comme un clapet mal réglé qui gênerait l’arrivée d’air. Et tant qu’à parler de cet organe composé de dix-sept muscles, il n’est pas indiqué de le tourner sept fois dans sa bouche avant de chanter. Là, on n’a pas le temps, quand il faut entrer, il faut entrer. Et que dire de la bouche, justement, et des joues ? Ouvrez grand la bouche, sinon, comment elles vont sortir les notes ? Messieurs les basses, arrondissez, pensez au petit museau qui s’allonge (travail d’imagination, ter). Creusez les joues, chantez comme des aristocrates. Il n’est d’ailleurs pas interdit à un aristocrate de bailler pour capturer un si et le chanter piano. C’est toute la grandeur de la musique que de permettre à tout un chacun de bailler élégamment et pour une noble cause.
Tourner la page
Questions métaphysiques : L’ai-je bien descendu ? L’ai-je bien pendue ? Et surtout : L’ai-je bien tournée ? Car c’est tout un art de tourner la page avec grâce, efficacité et au bon moment. Ceci n’est pas une leçon de morale. C’est technique. On peut tourner les pages de sa partition au doigt mouillé, avec la marge d’erreur que comporte cette technique empirique employée par de vieux loups de mer pour savoir d’où vient le vent. En concert, c’est risqué. On peut tourner les pages avec les courants d’air, au risque de repartir en arrière. Ce n’est pas mieux. On peut en tourner plusieurs à la fois et là c’est le drame ! On se retrouve en face d’une portée que le chœur n’aura sous les yeux que bien plus tard. Et, à chanter seul la mesure 48 à la place de la trentième, on finira par se taire, la bouche arrondie de surprise comme pour chanter un « o » mais pour de mauvaises raisons. L’art de tourner la page est de le faire sans bruit, ni trop tôt ni trop tard avant la tourne. Pour se préparer à passer du rire aux larmes ou des pleurs à l’enjouement, de la colère à l’apaisement, en un clin d’œil.
Vivre le texte
Lorsque des sonorités africaines mâtinées de latin tiennent lieu de langage, par exemple dans la musique ethnique d’Adiemus, ou lorsque le chœur ne dispose que de ouh tout doux et de ah puissants pour accompagner la musique de Morricone, libre à chacun de donner du sens ou pas à ces sonorités privées de mots, d’après les indices que le compositeur a semés et le contexte de l’œuvre. Rien n’interdit d‘y mettre son grain de sel : contrées lointaines, tribus reculées, chants d’intimidation façon haka, chevaux lancés au triple galop, nuages de poussière, cuisson de brochettes autour d’un feu de camp, portes de saloons qui claquent, fleuves impétueux, sagaies empoisonnées, diligences et trains à vapeur … Bon, c’est au choix.
Mais quand le texte existe, il faut en respecter la signification : l’infinie douleur de la Vierge Marie debout au pied de la croix où son fils agonise, un sentiment de révolte quand l’âme du Christ est transpercée par le glaive, l’espoir que le Paradis existe bel et bien au travers d’Amen chargés d’espérance. Le Stabat Mater oscille entre mélancolie, tensions dramatiques, douceur et apaisement. Aux choristes de traduire ces émotions, portés par les images distillées en répétition : le « Sta » se lance comme une fléchette, accentuer les notes de ce passage fera penser à des pleurs, le « forte » ne signifie pas qu’on part à la guerre.
Nous avons pourtant rudement guerroyé pour venir à bout de ces 2798 mesures en ce long week-end choral de retrouvailles entre amis chanteurs et vieilles connaissances. Merci à Pergolèse, Vivaldi, Fauré, Morricone et tant d’autres de nous avoir offert leur compagnie.
Sur un air de valse, les mots simples de Charles Trenet reflètent le plaisir du chant choral.
« Prenez le temps de chanter,
De rire, de vous amuser.
Tout le monde sait bien qu’après tout la vie
Est souvent jolie
Quand on la prend du bon côté. »
* D’après La Goffa Lolita, de Vincent Colonna, pour terminer le premier de nos concerts sur une touche déjantée. Mais c’était qui ? La ritournelle vous obsède jour et nuit ? Expirez à fond, basculez le bassin, hurlez à la lune : elle finira par rejoindre les terrains de rugby.
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0764473-stabat-mater-de-pergolesi.aspx?_lg=fr-FR
https://www.tst-radio.com/post/hallelujah-histoire-morceau-reprises-multiples
https://fr.wikipedia.org/wiki/Western_spaghetti
https://www.crescendo-magazine.be/journal/sir-karl-jenkins-prix-de-la-musique-sacree-europeenne/
https://www.brut.media/fr/videos/c-est-quoi-l-histoire-derriere-la-goffa-lolita/